Lundi dernier, j’étais au côté du Préfet de l’Isère pour déposer des gerbes à la mémoire de l’esclavage et de la traite négrière devant la plaque que la Ville de Grenoble a apposée il y a quelques années en hommage à Toussaint Louverture, esclave haïtien affranchi qui a pris sous Napoléon la tête de la révolte contre le colonisateur. Malgré la pluie battante, cette cérémonie officielle a été emprunte de dignité et d’une détermination sans faille pour lutter aujourd’hui comme hier contre l’esclavage moderne. En tant qu’élu chargé pendant sept ans des Droits des Étrangers, j’ai eu souvent l’occasion de correspondre et de rencontrer les Préfets qui se sont succédés place de Verdun depuis 2001. Aujourd’hui, ces échanges feutrés ne suffisent plus devant les mesures d’éloignement qui s’abattent sans aucune humanité sur des familles. Aussi j’ai décidé d’utiliser ce mode public de communication pour demander à Monsieur le Préfet de reprendre la main sur le service des étrangers qui depuis des mois semble agir sans discernement, ni contrôle.
« Monsieur le Préfet,
Parmi les nombreux étrangers, hôtes de l’Isère, auquel l’État sous votre autorité demande ou exécute leur éloignement du territoire, je voudrais vous alerter sur deux d’entre eux qui me semblent des cas emblématiques.
Le premier concerne le soutien d’une famille de deux enfants scolarisés à une école qui m’est chère, puisque celle de mes enfants : l’école du Lac à la Villeneuve de Grenoble. Le 16 mars vous l’avez expulsé vers son pays l’Algérie, laissant ici sa femme et ses deux enfants désemparés. Ces derniers qui ont subi le décès de leur père il y a quelques années avaient trouvé auprès du nouvel époux de leur mère soutien et assistance. Celui-ci s’occupait d’eux comme s’il s’agissait de ses propres enfants, les conduisant en particulier à l’école tous les jours de classe. Il était apprécié par tout le quartier. À l’heure où l’on déplore les agissements d’enfants de plus en plus livrés à eux-mêmes, comment justifier cette action qui va à l’encontre de tous les buts recherchés par la Politique de la Ville ? Je vous demande donc de bien vouloir accéder à la demande de tous les soutiens de cette famille : rattraper cette erreur manifeste en accordant le droit à cette mère au regroupement familial avec son époux qu’elle va vous soumettre sous peu. Connaissant les longs délais de cette procédure pour l’avoir observée de près pendant mon mandat d’adjoint entre 2001 et 2008, je sollicite de votre part une procédure rapide pour permettre à cette famille de se recomposer au plus vite.
Un autre dossier a trait au cas d’un travailleur sans droit au travail, ni au séjour, mais pas sans papiers comme on le dit trop vite. Cette personne a été interpellée sur son lieu de travail dans un restaurant de Voiron, à la suite d’après vos services d’un contrôle pour recherche de travail dissimulé. Elle a été conduite sur le champ au centre de rétention de Saint-Exupéry contre toutes les procédures qui permettent d’organiser sa défense. Elle y est encore depuis près d’un mois. Or, M. Le (son nom est rendu public) qui travaille ici depuis plus de dix ans a déposé auprès de vos services avec l’aide du syndicat CGT un dossier de demande de régularisation comme travailleur “sans papiers” depuis plus de 10 ans. Vous et votre prédécesseur étiez engagés à ne pas procéder de la sorte avec une telle expulsion express si vos services concluaient au rejet de la demande de droit au séjour et au travail. Vous deviez en informer le syndicat afin que tous les recours puissent être exercés à l’encontre de votre décision. Cet engagement n’a pas été tenu pour la première fois et M. Le abandonnerait ici une femme et une fille s’il venait à être expulsé. Je vous demande donc instamment de revenir sur cette décision et d’user de votre pouvoir discrétionnaire pour faire preuve d’humanité.
Monsieur le Préfet, ces deux cas pourraient être multipliés, mais ils marquent un tournant dans les relations des élus et des associations avec la Préfecture de l’Isère. Des engagements pris ne sont plus respectés, des familles soudées sont disloquées. J’espère que vous entendrez ce cri qui vient de très nombreux soutiens afin de démentir cette appréciation et restaurer le dialogue entre l’État et la population.
Avec mes respectueuses salutations,
Gilles, Kuntz, Conseiller communautaire, conseiller municipal de Grenoble”
Dernière minute dimanche 16 mai : M. Le est dans un avion pour le Vietnam à cette heure ! Il devait être relâché du centre de rétention demain au bout du délai légal. Le Préfet a préféré le faire transférer à Paris à la dernière limite pour le renvoyer à grands frais dans un pays qu’il a quitté il y a plus de dix ans en laissant ici sa femme et sa fille. Le représentant de l’État applique les ordres qu’il reçoit, mais je ne crois pas qu’il en soit fier. Les soutiens continueront la lutte pour obtenir son retour.
En tant que fille de déportée résistante
et nièce de résistant cousine de résistant
torturé par la police française et jugé par
un tribunal français je suis indigné par ce
qui se passe aujourd’hui en France. On dit que l’Histoire ne se répète pas de la même manière mais je trouve que les préfets actuels ressemblent singulièrement à ceux de Vichy.